Première!
C'était la première fois qu'il faisait encore si doux à une telle date de l'année.
C'était la première fois qu'il m'avait laissé un tel message:
"Rendez-vous sur le tertre à 22 heures, avant départ"
C'était la première fois que j'avais rendez-vous avec lui, alors que mon Amour ne m'accompagnerait pas.
C'était la première fois que je disais:
"Un ami m'attend à 22 heures au tertre, me permets-tu d'y aller?"
C'était la première fois qu'il m'avait répondu:
"Mais bien sûr, j'ai confiance, c'est ton ami à toi, vas-y!"
C'était la première fois que je mettais l'ensemble que j'avais acheté la veille au sortir des examens médicaux.
"Comme tu es belle avec ça!" m'avait-il dit en rentrant et en m'embrassant.
C'était la première fois que je reprenais la voiture pour conduire nuitamment seule et rejoindre le tertre.
Je conduisais rapidement, connaissant bien la route, chaque virage, chaque carrefour, le pont sur le fleuve, puis à gauche, le long du canal.
Je me garai en haut du village, sur la place près de l'église.
Puis je descendis vers le lieu de rendez-vous. J'étais largement en avance. J'avais le temps de prendre un verre, puis de m'accouder à la rembarde, les yeux dans le vague, cueillant les lueurs reflétées dans le fleuve et son canal.
Une péniche "La gaillarde", lumières rouges tamisées à travers les carreaux, comme braises dans un poêle, signe d'une présence. Personne sur le pont, déjà la brume montait, bientôt, tout serait ouaté, silencieux.
Je frisonnai, retournai à la voiture pour prendre mon châle, celui que mon Amour m'avait offert trois jours auparavent, pour mon anniversaire.
Je caressai le châle, étoffe bordeaux si douce, soie sauvage.
Puis je revins, songeuse à ma table finir ma consommation.
Perdue dans mes rêves, je ne l'entendis pas venir.
Il me saisit par la main droite, et doucement, l'embrassa.
Je me levai, rajustai mon châle, jetai mon sac à bandoulière sur l'épaule gauche, et mis ma main droite dans sa main gauche.
Nous marchâmes sans mot dire deux heures durant, sans effort, comme en glissant, sous un ciel bleu intense, tellement profond qu'il en paraissait noir.
Nous regardions les étoiles et les comètes tracer des orbes dorées, argentées. Nous n'avions nul besoin de parler puisque pour la première fois nos mains s'étaient touchées et nos yeux croisés.
Nous avions des milliers de baisers à libérer, ceux retenus prisonniers dans les enveloppes des courriers que nous avions échangés, et, pour la première fois, nous décachetions ces lettres que nous avions apportées. Et les baisers s'envolaient comme papillons et colombes tandis que nous suivions leur vol dans ce ciel d'une infinie beauté.
Lorsque les douze coups de minuit retentirent, je n'avais aucune raison de demeurer davantage avec mon Prince.
Nos coeurs s'étaient rejoints dans le calme silence de la nuit. Pour la première fois.
Je souriai en le quittant gardant la vision du ciel rempli d'étoiles, points lumineux colorés qui n'avaient dansé que pour nos yeux, la sensation de sa main chaude dans la mienne, et la douceur des baisers déposés par la brise.
(Si tu n'existais pas, j'aurais aimé t'inventer)