Voile de lin noir
J'étais repartie
avec le troupeau
nu-pieds comme de coutume
sur le chemin qui monte
vers des pentes herbées
avec mon Berger
et nos chiens:
Aheyâd (la bohémiene)
et son jeune chiot Afa (le sublime),
le plus beau et le plus solide de la portée
il jappait entre mes jambes
et mordillait les franges de mon vêtement noir!
Chez nous, le noir n'ést pas couleur de deuil.
-
Je riais souvent,
repoussant sa langue gourmande
qui tentait de me lécher les orteils!
-
Ce temps n'est guère propice aux longues
stations ou pauses
l'air est déjà bien vif!
-
On ne peut dormir "à la belle"
il faut trouver un abri pour la nuit,
assez tôt, lorsque le soleil se couche.
-
Mon berger les connaît tous.
Il nous fait avancer vivement,
de son bon pas, si long,
pour que nous les atteignions
avant l'obscurité et le froid qui perce.
-
Là, nous nous serrons
les uns contre les autres
après avoir mangé la galette
et bu le thé.
Bêtes contre hommes.
Même chaleur
mêmes odeurs.
-
Parfois un vagabond pris par la nuit
se joint à nous.
Mon berger lui fait place,
et partage avec lui nos frugales subsides.
Il nous parle d'ailleurs,
d'où il vient, lui!
Un peu d'animation dans nos longues nuitées.
-
Au petit matin, nos routes se séparent.
Je le suis un moment du regard,
puis nous grimpons vivement,
vers ailleurs...
-
Je l'avais connu par hasard,
je disais qu'il était comme un cadeau
qui dure plus qu'un jour, une semaine, une saison...
-
J'avais offert sans compté,
et sans reprendre, donné.
-
J'y repensais,
en me serrant frileusement
contre mon berger
et nos chiens
-
J'avais reçu de ses nouvelles
avant de repartir
dans la montagne!
Là, je ne pouvais
communiquer qu'avec les étoiles,
le vent,
les vautours.
J'enfonçais mes doigts
rêveusement
dans une toison
celle du mouton
tout brun
qu'à ma demande,
on n'avait pas fait tondre.
-
Je chantais
comme une petite plainte
une ritournelle d'enfant
les larmes roulaient toutes seules,
mon Berger les essuyait
silencieusement
pas de questions
pas d'explications inutiles.
-
Tout à coup
Aheyâd dressa la tête
museau tendu vers l'extérieur
grogna
Mon Berger se leva
zébra l'obscurité
d'un faisceau électrique
fouillant les abords bleutés
-
Il apparut,
levant instinctivement les mains
devant ses prunelles éblouies
je le reconnus, je souris
me levai, le saluai "Azul!"
le pris par la main
et l'invitai dans notre cercle étroit.
-
Au matin,
sans dire mot,
je détachai mon voile de lin noir,
et le lui donnai
"Au revoir"
lui dis-je en français,
avant de disparaître avec mon Berger
sur le chemin qui monte.
J'avais un peu froid,
quelques perles brillaient
sur mes joues
mais déjà le soleil redorait mon front
et je lisais l'amour
dans le regard immense de mon époux.
-
Alba
(oui, sans doute, nous nous rencontrerons encore
...puisque la terre est ronde...)