Fais comme l'oiseau...(3)
Je refermais le couvercle avec application, lentement boucler les fermetures, après avoir couché tendrement celle qui me donnait toute satisfaction, entière satisfaction depuis le jour où j'en avais fait l'acquisition, 8 ans auparavent, après l'avoir discernée entre des dizaines essayées, une petite merveille cette guitare, oui!
J'allais me redresser et attraper la poignée lorsque j'entendis mon nom prononcé, sans aucune confusion possible, il s'agissait bien de moi: les Tahheyyât ne courant pas les rues! J'entendais comme à travers un filtre des bribes de conversation.
Alors en plus, "on" osait parler sur mon dos, en ma présence! le bouquet!
C'était Geneviève, de sa petite voix de "mémé", et ce furent pratiquement ses dernières paroles! Nous étions en effet réunis chez elle car elle suivait un traitement par injections intramusculaires, sensé lui redonner une certaine mobilité, mais en fait, elle vivait ses dernières heures. A part elle, nul ne s'en doutait, elle paraissait si calme, si sereine, et si joyeuse, d'une joie qui irradiait de l'intérieur embellissant son visage, le rendant si merveilleusement doux et expressif, alors que jusque là, il avait paru terne, ordinaire, effacé, facilement oubliable.
J'étais partagée entre l'envie de prendre les jambes à mon cou pour ne plus rien entendre et le désir de découvrir ce que l'on osait dire sur mon compte. Dans mon coin, isolée, courbée en deux, personne ne pensait plus que je puisse être présente, normal que des tiers puissent parler de moi librement.
J'entends distinctement ceci:" Tahheyyât, c'est une fille BIEN!"
Je rêve là! C'est la bouche de Geneviève qui parle et prend ma défense... Non, la suite ne dément pas ce propos! On est entrain de dire du BIEN de moi! Incroyable! moi qui ne vaux pas un clou!
Elle dicte son "testament", il paraît que je suis empreinte de ..., que je sais être ..., que ..., que...
Je n'ose remuer, faire connaître ma présence, faire cesser ce flot qui me trouble, me saisit!l Geneviève récidive pour appuyer et terminer son discours: "oui, je vous assure, je le sais, Tahheyyât, c'est une fille BIEN!"
La terre s'est ouverte! enfin! ou plutôt le ciel d'ailleurs ce coup là...
Je me redresse, je suis une autre femme, je suis la Tahheyyât de Geneviève, celle dont elle pense du "bien". Elle n'a pas l'habitude de "dérailler" Geneviève, tout le monde la tient en grande estime. Je veux bien la CROIRE sur parole! Croire que quelque part, elle a su déceler ce "bien" et ce "beau" qui m'habite, au fond tréfond, et qui ne demande qu'à croître, qu'à faire vraiment surface, qui ne demande qu'à être encouragé pour oser se montrer en VRAI! et s'exprimer.
Je suis une autre femme! Je ne peux plus marcher courbée!
Elle m'a rendu mon diadème oublié, tombé dans la flaque boueuse, elle l'a placée à nouveau sur mon front avec tant de douceur et d'autorité! me confiant ma nouvelle mission, celle de conserver ses paroles dernières à mon sujet et de m'en revêtir pour sortir du cloaque.
Et puis s'en est allée rejoindre son maître, s'endormir entre ses bras pour toujours.
Oui une humble femme, un soir d'Avril, il y a 20 ans, a élevé sa frêle voix pour me redonner ma dignité perdue, en m'appelant par mon nom, en défendant mon honneur. Et c'est ainsi que j'ai commencé d'émerger des profondeurs où je m'enfonçais, c'est ainsi que s'est amorcée ma réabilitation, de petits pas en petits pas, de petites victoires en petites victoires. De grande découverte en grandes rencontre! C'est ainsi que j'ai compris que personne ne m'éloignait de la fête! Un petit bout de femme, une mémé, veuve, à l'orée de sa Pâque, m'a redonné ma place, mon rang, l'envie de me battre et d'aller vers la lumière.
Depuis, d'autres "Geneviève" se sont levées pour m'aider, ici ou là, ces dernières années et plus précisément ces derniers mois, puisqu'il y a cinq ans, je perdis tout de moi. Et qu'il faut que je refasse tous mes chemins...
"Et jamais rien ne l'empêche, l'oiseau,
d'aller plus haut!"
(extraits de la chanson de Michel Fugain
Fais comme l'oiseau)
Tahheyyât
Idirou l'aar's b'qit n' ghenni maahoum*
(Ils voulaient célébrer les noces, et je suis resté chanter avec eux)
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