Après...
Elle avançait dans le brouillard d'une nuit
dont elle ne savait plus l'origine
rescapée de la noyade
lavée, oui
saumurée
abrasée
-
elle avait entendu le nom
son Nom prononcé
malgré le fracas des vagues
sur les blocs en désordre
arrachés à la falaise
-
elle avait plongé une dernière fois
retrouver ce couteau
-
ne pas le laisser se corrompre
lavé lui aussi
de toutes ses guerres
-
elle s'était agrippée aux récifs
hissée jusqu'à la grève
-
elle avait grimpé
en s'accrochant
en se déchirant
aux genets
jusqu'au sommet
-
elle rampait
vers le phare
-
Exact, rien ne serait plus jamais pareil
-
elle avait incroyablement vieilli
elle pensait à ces légendes
au retour de marins
retenus des centaines d'années
par les fées
par les faits
par l'effet dû aux fées et aux faits
et soudain libérés
-
qui avait prononcé son nom?
Ses soeurs, non!
de cela elle était certaine
ni celui qu'elle pleurait, oh non!
-
mais quelqu'un
qu'elle n'attendait plus ou n'entendait plus...
à qui elle avait souvent tendu sourde oreille
longtemps
-
un à qui elle confierait le couteau
pour qu'il soit en de bonnes mains
-
un qui la caresserait
autrement qu'avec des mots
-
un qui n'aurait pas peur
d'aller fouiller le sable vitrifié
pour déterrer
l'étoile froide
faisant corps avec la roche agglomérée
-
un qui saurait encore découvrir
l'ombre d'une incandescence
au sein de l'astre déchu
-
un qui se contenterait
de la chaleur
d'une étoile abîmée
comme on prend avec délectation
son tiède lait de brebis
dans une tasse ébréchée
blanche
à liseré bleu indigo
-
un qui la trouverait belle
oui
et surtout là où elle est
érodée
corrodée
sculptée par les eaux
-
un qui aimerait
ses cheveux poisseux de sel
son odeur de varech
sa peau moite et luisante
ses balbutiements
de femme-poisson
qui ne sait plus chanter
-
un qui chanterait pour elle
et lui réapprendrait
la marche sur la terre ferme
par les sentiers qui courent
au-dessus de la falaise
-
juste à l'endroit
d'où elle se jeta
-
Tahheyyât