En écho au drame qui vient de se dérouler le 4 mars 2008, à Pauillac
(voir les articles au sujet du suicide d'une institutrice en Gironde)
Evidemment, je ne peux que compatir au drame qui atteint la famille
Cruzin, et que resonner à tout ce que cette enseignante, Valérie, a
vécu de difficile les derniers mois. Je présente mes condoléances à
toutes les personnes touchées par cette tragédie, y compris les élèves
et anciens élèves qui peuvent ressentir du chagrin, l'injustice
profonde de cette issue, le choc de la séparation d'une maîtresse
estimée d'eux. Et c'est donc ce que je veux faire en premier, compatir,
mais aussi et ensuite déplorer certaines dérobades de la part de qui
pourrait apporter soutien et impartialité, calmer plutôt que laisser
pourrir et s'envenimer les choses!
Enfin rapporter des faits dont j'ai été maintes fois témoin, et plus
particulièrement l'expérience d'une enseignante, dans les lignes qui
suivent:
L'une de mes connaissance, Franxa, a connu plusieurs cabales et
campagnes de diffamation "concertée" de la part de parents au cours de
son existence d'enseignante, envers des collègues comme envers elle,
elle a failli plusieurs fois en mourir, c'était pourtant "une dure à
cuire", une fois elle a frisé le "passage à l'acte" comme on dit. Elle
a demandé, réclamé deux fois au moins dans sa carrière, dans des cas
extrêmement graves, son changement d'affectation, et la médiation de
ses supérieurs hiérarchiques, elle fut toujours maintenue sur ses
postes et encouragée de la voix, en privé, de la sorte: "Je sais que
vous êtes assez forte pour vous défendre et pour les tenir en respect".
Ce fut vrai, car c'était une personne extraordinaire à tous points de
vue et une "battante" hors pair, vrai jusqu'au jour où ce ne fut plus
vrai! Je ne parlerai pas aujourd'hui de ce qu'il advint d'elle alors,
il y a ainsi des vies lacérées, mises en lambeaux, pires que mangées et
détruites! Niées, salies irrémédiablement ou presque! dans ces
conditions il faut un courage plus qu'extraordinaire pour se battre,
recommencer, continuer, survivre, se reconstruire!
(elle coule à présent, ainsi que tous les protagonistes de sa
biographie, une retraite "méritée" sinon "heureuse" et "tranquille")
Mais revenons en arrière. Le premier poste de Franxa fut un
remplacement de quatre mois en maternelle, il y a fort longtemps, à
l'époque où l'on travaillait encore cinq jours sur sept en premier
cycle. Elle arriva quelques temps après la rentrée de septembre. On lui
accorda, dans un appartement alors désaffecté et sans chauffage, une
pièce pour s'installer, c'était l'automne, au bout de quelques jours
elle fut transpercée d'humidité et de froid, alors elle apporta sa
tente de camping et ses duvets, elle monta son campement dans la pièce
en question. Elle se souvient de l'ahurissement du technicien d'EDF au
moment de signer le contrat d'électricité, toute une histoire ensuite
pour le résiler à son départ! Voir une tente montée dans une pièce
bourgeoise qui avait dû être une salle à manger ! Elle avait bien du
courage de travailler à la chandelle en attendant d'être raccordée à
l'électricité, elle était jeune, il est vrai et solide.
Le soir, après avoir admiré longtemps la lueur des torchères, son
plaisir secret, depuis une fenêtre qui donnait dans la direction d'une
raffinerie, impossible d'écrire ses préparations, ses doigts étaient
trop gourds, elle mangeait donc rapidement son foie de génisse
accompagné de pattes coquillettes ou sa "saucisse choucroute" (il y
avait un excellent charcutier non loin de l'école, dans le village), et
se glissait vers 19h 30-20h dans ses duvets sous sa tente, tellement
elle se gelait. Elle n'en ressortait qu'au matin, pour se débarbouiller
à l'eau froide du robinet de l'évier, et avaler son café chauffé sur un
"bleuet" camping-gaz. Pendant les heures où elle ne pouvait fermer
l'oeil à cause du froid et d'un orchestre de rock dont les membres
répétaient, à deux pas de là, dans un garage, jusqu'à 22 heures, elle
se remémorait la conduite de la classe du lendemain, point par point,
parce qu'à l'époque, il fallait changer d'activité environ toutes les
20 minutes, et organiser deux fois par jour des ateliers tournants,
imaginez: 50 élèves dans un local non prévu pour cet effectif, qui plus
est, répartis en groupes autonomes en présence la majeure partie du
temps de la seule enseignante dans la classe, dotés de matériel
rudimentaire, ancien et souvent insuffisant! Elle avait donc amené
toutes ses poupées "de quand elle était petite", ainsi que d'autres
jouets, qu'elle laissa sur place lorsqu'elle fut nommée, janvier
suivant, sur un autre poste de remplacement. Elle avait fabriqué des
plateaux porte-pot-de-peinture en contre-plaqué, bricolé des chevalets
pour le coin peinture, rénové et retapissé avec les enfants le "coin
poupée" pour renforcer et agrémenter les différents pôles. Toutes ces
cogitations, fabrications étant pris sur son temps de "loisirs" et sur
sa caisse perso! C'était une grande enthousiaste, à l'époque
célibataire, un amour naissant comme feu d'artifice en ses jeunes sens
décuplait ses forces, son énergie et son ingéniosité déjà si
abondantes.
Revenons à l'inconfort et au froid qui la transperçait. Il y avait
heureusement des bains-douche publics, juste au pied de la tour qui
abritait l'escalier qu'elle gravissait pour atteindre son logis. Elle
pouvait donc, le samedi, aller se doucher à l'eau chaude, ouf! Mais fin
novembre, le froid et l'humidité se faisant plus vifs, elle apporta un
radiateur à gaz, cet appareil était "âgé", il "s'étouffa" une fin de
nuit, laissant échapper doucement son gaz butane. Forcément Franxa ne
put descendre en classe, potron minet, pour jeter sur le papier ses
préparations de cours à la douce chaleur des radiateurs en fonte, ni
effectuer son service d'accueil des élèves. Et les collègues, après
s'être étonnés de son manque inhabituel de ponctualité, ayant peur
qu'il ne soit arrivé malheur, sont montés tambouriner vivement à sa
porte, et l'ont tirée de sa torpeur! Heureusement pour tous, la fuite
de gaz était accidentelle, ce n'était pas un suicide déguisé et manqué.
Elle ne trépassa donc point ce jour là, mais conserva une fragilité, on
n'est pas "gazé" sans dommage, même si on en réchappe!
Etonnée du fait qu'on ait pu croire à un mouvement volontaire de sa
part pour s'ôter la vie, elle qui l'aimait plus qu'on ne pourrait
l'imaginer, elle se fit raconter certaines choses: elle était donc la
quatrième remplaçante sur ce poste depuis le début septembre, les
autres n'ayant pas tenu le coup. Il est vrai que les classes étaient
très chargées, elle n'avait jamais enseigné à autant d'enfants à la
fois, et ces écoliers étaient en général assez agités, non sans raison:
la plupart d'entre eux vivaient avec leur famille, frères et soeurs en
promiscuité totale, dans des caravanes légères pour les campements
d'été, sur un terrain proche de la raffinerie où les parents étaient
employés. Ils n'avaient pas pu obtenir de permis de construire,
d'appartements au loyer, et de toutes façons, leur affectation était
disons plus ou moins provisoire, la société pétrolière pratiquait la
mobilité de l'emploi, déjà oui (nous étions juste quelques années avant
la première grave crise pétrolière)!
Un jour, brusquement, l'un d'entre les élèves, à peine âgé de trois
ans, élève de la section des "bébés" (c'est comme ça qu'on appelait
affectueusement en ce temps la "petite section" des 2 ans), tenta, au
cours d'un interclasse dont Franxa assurait la surveillance,
d'étrangler un camarade et de lui fracasser le crâne contre le mur
blanc de la cantine. Elle eut de la peine à desserrer les mains de
l'enfant, à le séparer de son adversaire (avec qui il tentait
maladroitement de jouer!), puis à le faire asseoir tranquille pour
qu'il se calme, elle obtint qu'il soit mis auprès d'elle lorsque
c'était la récréation, et qu'il mange à sa table, plutôt qu'avec ses
camarades l'espace de quelques jours. Ensuite, l'enfant faisant l'objet
d'une surveillance accrue de la part des adultes, retrouva ses petits
copains pour les jeux et la cantine, et manifesta peu à peu moins de
violence vis à vis d'autrui.
Si les parents en général étaient contents de son enseignement, Franxa
eut des difficultés avec une personne en particulier, elle s'efforça
aussitôt de dialoguer avec cet homme blessé par la violence rencontrée
au cours de son service militaire en Algérie, certaines images
demeuraient gravées en lui pour longtemps malheureusement! Par le biais
de la discussion et de l'empathie, elle réussit à reconquerir son
estime. En ce qui concerne la direction de l'établissement, une
adjointe promue à cette fonction assurait l'intérim d'une femme estimée
mais absente pour raison de traitements longs. Il me semble que mon
amie m'ait rapporté que sa collègue en congé habitant non loin de
l'école, elle l'avait rencontrée une ou deux fois: pour le "suivi" de
la classe et les consignes à respecter, car c'est cette femme que
remplaçait Franxa, en tant qu'adjointe simple, ayant trop peu
d'ancienneté et nulle expérience en matière de direction.
Le personnel d'encadrement communal était discret, efficace tant qu'il
pouvait, mais face au nombre d'enfants, ne pouvait se multiplier en
attention et soins auprès de chacun. Une bonne génération et demie
séparait Franxa de ces femmes. Malgrè ses 50 élèves, mon amie ne
disposait d'une ATSEM (on disait: dame de service, assistante
maternelle, "tatie" pour leur doux nom) qu'en dernière heure le soir au
moment de l'atelier peinture et de l'habillage pour la sortie. Elle
sympatisa davantage avec une collègue fraîchement arrivée, bretonne
d'origine, de quelques années son aînée, dont elle avait le jeune fils
en classe.
Collègue qui l'hébergea gracieusement en fin de remplacement, le temps
étant encore plus froid, et le radiateur ayant été prudemment relégué.
Précisons que Franxa gagnait bien moins de 1000 Francs par mois (vous
diriez combien en euros? 152 euros environ), ce qui explique pourquoi
il lui était difficile de se payer un appareil de chauffage nouveau, et
le contrat d'électricité lui coûtait une fortune, pour une ampoule
allumée ou deux dans sa pièce unique le soir avant son retrait sous le
bivouac!
Elle finit par être victime d'une bronchite qui la priva de la fête de
noël organisée à l'école et du plaisir de voir ses petits élèves
costumés chanter les comptines apprises et exécuter leurs danses
amoureusement répétées.
Franxa ne remit qu'une fois les pieds dans cette bourgade, quelques heures, une vingtaine d'années plus tard, pour d'autres raisons. Elle connut, dans l'exercice de son" beau métier" (c'est comme ça qu'on disait au sujet de cette profession), bien d'autres aventures extraordinaires, difficiles, tendues, dramatiques, incroyables, intolérables. Il me faudrait des dizaines de vies de chroniqueuse pour évoquer sa vie comme celle d'autres de nos contemporains, et nous verrons celà plus tard, je souhaite, pour le moment, reprendre le cours de l'histoire de Flo dès demain!
Tah 29 mars 08 14: 44 (pour des raisons de "témoignage", et en accord avec Franxa consultée à ce sujet, je n'ai romancé ou "arrangé" aucun des faits relatant l'expérience vécue dans ce premier poste, et qui se déroulèrent tels au début des années 70)
°°°000°°°
Voici des références de textes analytiques au sujet de l"histoire récente (XX ième siècle) de Pauillac, ils peuvent baliser nos regards et nos réflexions, je les cite comme témoins ou jalons:
Derrière l’image et la réputation de ses grands crus, le Médoc se protège d’un passé de misère et d’un présent de détresse sociale. Le Médoc se remet mal du traumatisme de 1985. Au moment où le vignoble décollait dans un climat d’euphorie, Shell a brutalement fermé sa raffinerie de Pauillac : 800 emplois sacrifiés dans la seule industrie du Médoc.
« La ville a sombré dans une dépression nerveuse collective et ce climat de déréliction dure. Entre les grandes fortunes des châteaux et le peuple des RMIstes, la classe moyenne s’est volatilisée », constate Martine Noverraz, tonique directrice du Pays Médoc, la nouvelle entité administrative qui a pour mission de fédérer les énergies et de vaincre le fatalisme d’une population, laissée sur le sable.
Arrivé en 1998, l’inventif Thierry Marx, plus jeune chef étoilé de France, l’un des espoirs pour l’avenir du Médoc, aux commandes du Relais et Châteaux Cordeillan-Bages à Pauillac, évoque pourtant avec passion « cette presqu’île, lieu de sérénité, propice à la création, où l’on possède le goût des bonnes choses, déroutante par sa façon d’unir l’ordre de la vigne avec le désordre du fleuve ».
En 1922, le groupe Royal Deutch Shell et la maison Deutsch de la Meurthe associés après la création de la Société des Pétroles Jupiter implantaientt une première raffinerie à Pauillac. Elle sera reconstruite plusieurs fois, jusqu’à en faire la plus moderne des trois implantées sur l’estuaire dans les années 1970.
Ravitaillée par oléoduc depuis le terminal du Verdon, elle traitera près de 5 Mt, chaque année, avant d’être condamnée par les chocs pétroliers successifs en 1985, comme les deux raffineries d’Ambès quelques années plus tôt. Dès lors ne demeurait plus qu’un dépôt de produits blancs dont la société Shell France ne cachait pas la mise en vente depuis plusieurs années et dont le trafic s’est étiolé jusqu’à atteindre 450 000 t en 2005 alors qu’il dépassait le million de tonnes cinq ans plus tôt.
Le pétrolier avait fixé à fin 2006 la fermeture définitive du site ou sa cession. Aujourd’hui, bien que rien ne soit totalement arrêté, il semble que la deuxième solution soit en voie de finalisation et que le dépôt connaisse prochainement une nouvelle vie sous de nouvelles couleurs.
Les unités de production, groupées dans un rectangle de 3 hectares,
constituent le coeur de la raffinerie. Elles comprennent notamment :
une unité de distillation dans laquelle le pétrole brut est décomposé
en éléments (gasoline ou essence légère, naphta ou essence lourde,
distillat huileux, résidus, etc) permettant d'aboutir aux produits
finis ; une unité de reformage (ou reforming) catalytique qui permet
d'obtenir une base pour carburants à haut indice d'octane à partir de
naphta ; une unité de craquage (ou cracking) catalytique dans laquelle
le distillat huileux est transformé en gaz, essence et gasoil ; une
unité fabriquant des bitumes à partir du résidu de l'unité de
distillation ; une unité produisant du cumène, matière fondamentale
pour l'industrie chimique. Philippe Fournet.
Prise de vue mai 1979
Auteur Bardou, Pierre
Droits CRDP d’Aquitaine
Ecologie et Médoc de Pauillac
Il faudrait déjà se mettre d’accord sur les notions de développement et de désenclavement... Nous pensons que le Médoc n’a pas besoin d’être parsemé d’usines et quadrillé de voies rapides ! D’autant qu’en ces temps de dérèglement climatique et de lutte contre l’effet de serre, et en attendant les premiers effets de pénurie des carburants fossiles, on voit bien que l’avenir n’est plus dans le couple autoroute / industrie.
Nous l’avions déjà fait remarquer aux élus du Médoc il y a quelques années: ce n’est pas de l’extérieur qu’il faut attendre un projet miracle qui résoudra les problèmes d’activité économique. Le Médoc doit trouver dans ses propres spécificités (ses ressources, sa culture) les moyens d’assurer son avenir et celui de ses habitants.
Les atouts ne lui manquent pas, mais il faut savoir se tourner vers l’avenir.